Comment en est-on arrivé là ?
Décidément, la télévision publique n’a pas de chance. Quelle que soit la couleur politique des gouvernements depuis près de 40 ans, aucun n’a jamais assumé son rôle de tutelle au bon sens du terme : protection et aide au développement. Après le démantèlement de l’ORTF (1974), s’est mis en marche un cycle infernal de pseudos réformes incohérentes et sans ambition (au-delà des discours tout aussi vertueux qu’hypocrites). En fait, il ne s’est jamais agi que de réaliser des économies et laisser le champ libre aux appétits commerciaux du privé.
Après la privatisation de TF1 (1986) sur laquelle le PS n’est jamais revenu en dépit de certaines promesses, c’est la SFP qui a été lentement asphyxiée, puisque les chaînes publiques n’étaient plus tenues de la faire travailler, n’étant pas elle-même dotée de moyens de production-fabrication ou, comme FR3 (devenue France 3,) possédant des unités déjà mises en concurrence avec le privé.
Au lieu de revenir à une notion de cohérence et de complémentarité entre les différents organismes de radios et de télévisions publiques, les pouvoirs politiques avaient mis les chaînes en concurrence, l’audiovisuel public se cannibalisant lui-même en quelque sorte. Pire encore, en 1982, les stations d’Outre-Mer et les radios locales métropolitaines avaient été séparées de FR3, qui constituait pourtant un ensemble cohérent radio-télévision. On a vu la suite, tant sur le plan des moyens insuffisants aux missions éditoriales que sur celui des statuts des personnels.
Après que la SFP ait été coupée des sources du financement public, les appétits des producteurs privés ont conduit un gouvernement de gauche à instituer les décrets « Tasca » qui contraignaient les chaînes publiques à réserver la majorité de leur production au secteur dit indépendant (en fait privé), tout en les spoliant de l’exploitation des droits des émissions qu’elles avaient financées majoritairement, voire totalement. Cette dérive, destinée à priver progressivement le service public des moyens d’assurer son indépendance éditoriale en le dépossédant de ses capacités à produire et fabriquer ses programmes, s’est particulièrement faite sentir à France 3 avec la mise en concurrence directe de sa « filière production » avec le secteur privé sur des bases totalement faussées, notamment par le recours abusif à l’intermittence qui permet aux producteurs privés de faire financer leurs activités par les caisses chômages. A l’heure actuelle, la menace pèse toujours aussi lourd sur les moyens de France Télévisions.
La création progressive de France Télévisions aurait pu constituer une réelle opportunité de revenir à un service public ambitieux, solide et cohérent, faisant accéder tous les publics à des programmes de qualité. Malheureusement, au-delà des discours, des vœux pieux et des évidences associés à des comparaisons ridicules avec d’autres télévisions publiques européennes (BBC à la française), rien n’est venu étayer sur le plan concret la crédibilité de la démarche affichée.
L’introduction de la ressource publicitaire destinée à compenser la faiblesse du financement par l’actionnaire unique, l’Etat, a contraint les chaînes publiques à s’aligner sur une concurrence basée sur la recherche facile de l’audimat, notion radicalement contraire à celle d’un service à destination de tous les publics. Double peine plus tard, quand la publicité a été supprimée après 20 H sans compensation équivalente, tandis que la redevance n’augmentait que symboliquement (elle reste largement en-deçà de la moyenne européenne).
Faute de moyens suffisants, France 2 mobilise l’essentiel des budgets pour faire face à la concurrence de TF1 tandis que les missions régionales et ultra-marines restent les parents pauvres de France Télévisions. Après les valses hésitations sur les finalités de France 4 (nouvelles écritures, chaîne jeunesse ?) elle finit par passer à la trappe pour atterrir sur le net, faute stratégique majeure quand on sait que la BBC, citée comme référence, possède deux chaînes jeunesse. Que dire de la suppression de France Ô, qui favorisera sans nul doute le rayonnement des Outre-Mer…
Quant à France Info, qui pendant un temps était considérée comme l’avenir de France Télévisions, elle reste notoirement sous financée, l’ensemble des autres chaînes et surtout les personnels étant mis à contribution faute de budget adéquat.
Le budget de France télévisions va subir une réduction drastique (160 millions), compte non tenu des moyens qu’il faudra trouver pour financer le développement du numérique. Pourtant, la présidente de France Télévisions et la Ministre de tutelle continuent de vouloir tenter de persuader les salariés qu’on peut faire plus et mieux avec moins. Pour ce qui les concerne directement (les personnels), cela va s’appliquer sur la masse salariale en termes d’emplois et de conditions de travail. En effet, France Télévisions, de par la nature de ses activités, possède une masse salariale importante, qui est toujours utilisée comme variable d’ajustement.
Il est à noter que les effectifs de FTV ont régulièrement diminué depuis plusieurs années, ce qui ne signifie pas nécessairement grand-chose si on n’examine pas dans quelles catégories sont intervenues les suppressions de postes, et si cette réduction d’emplois a bien coïncidé avec une baisse de la masse salariale. Or il semble bien que la masse salariale ait augmenté, alors que les effectifs diminuaient, la réduction affectant essentiellement les secteurs productifs, au bénéfice de l’encadrement et des technostructures (conseillers divers et variés, chargés de missions…).
Toujours à l’intérieur de la masse salariale, la direction a également remis en cause de nombreuses dispositions relatives au temps de travail, aux congés, aux RTT, aux remplacements, donc à tout ce qui peut contribuer à améliorer les conditions de travail et de vie, la santé des salariés dût-elle en pâtir. Sur le plan salarial, la direction s’apprête à revenir entièrement sur les éléments collectifs (augmentation générale, automatisme) sous couvert de valoriser les compétences, en ne laissant comme perspective de progression que les augmentations individuelles qu’elle attribuera sans aucune transparence ni objectivité, puisque rien ne l’y contraint depuis la disparition des commissions paritaires.
La direction entend même développer la polyvalence comme fin en soi, le numérique étant invoqué de manière incantatoire comme la solution miracle palliant l’absence d’ambition, d’imagination et de moyens, tout en permettant de réduire encore les effectifs des catégories productives menacées par la part belle laissée aux moyens privés. Aucun secteur n’est d’ailleurs épargné, pas plus que l’information (avec des menaces sur certaines éditions) que les programmes, la production ou l’administration.
L’actionnaire entend développer les synergies avec les autres sociétés de l’audiovisuel public. Un peu tard tout de même ! A moins qu’il ne s’agisse une fois de plus, comme on peut le craindre, de trouver un nouveau motif de réaliser des économies en rétrécissant les périmètres d’activité, en réduisant les effectifs en vue d’une réduction de France Télévisions au simple rôle de diffuseur. Les délires de la présidente Delphine Ernotte sur la création d’un « Netflix à la française » feraient plutôt sourire quand on compare les budgets respectifs si la situation n’était pas aussi grave. Depuis plus de 40 ans, tant les responsables politiques que les chefs d’entreprise nommés dans l’audiovisuel public n’ont jamais raisonné sur le long terme avec ambition et volonté d’assurer continuité et stabilité. Il est à craindre que nous ne soyons pas au bout de nos peines, au vue des dernières orientations qui ont été dévoilées.