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Relations sociales : la regression

Pendant plus de cinquante ans après la libération, on a pu assister à une amélioration progressive des textes légaux régissant les relations sociales entre employeurs et salariés.

Certes, la France n’a jamais institué, comme en Allemagne par exemple, de système cogestionnaire où le pouvoir de décision est partagé. Le patronat est toujours resté maître de la marche économique des entreprises, mais le Code du Travail avait construit un dispositif d’information/consultation donnant aux organisations syndicales les moyens de se prononcer sur les grandes orientations économiques.

Parallèlement à l’action des Comités d’Entreprise, les Délégués du Personnel et les Comités d’Hygiène et de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT) veillaient à la bonne application des dispositions légales (et conventionnelles), relayant les revendications individuelles ou collectives et enfin, veillant au respect des règles en matière de conditions de travail.
Certes, tout n’était pas parfait dans cet environnement, certains étant passés maîtres dans l’art de contourner les textes ou de les interpréter de façon régressive. Pour autant, des outils existaient pour appuyer un rapport de force sur le terrain (droit de grève) ou devant les tribunaux (judiciaires ou prud’homaux).

Au plan interne, le paritarisme garantissait à chaque salarié que sa situation salariale et son évolution de carrière soient traitées avec équité et transparence, les représentants des personnels dans les commissions paritaires disposant d’éléments fiables permettant de cibler et d’évaluer les situations anormales et les disparités.

Il faut insister sur le point suivant : tant au plan législatif que conventionnel, le pouvoir de décision de l’employeur n’a jamais été remis en cause. On peut donc s’interroger sur les raisons qui ont conduit les pouvoirs publics, quelle que soit la couleur des différents gouvernements, ou les employeurs, à remettre en cause un dispositif de relations sociales qui ne menaçait en rien leurs prérogatives tout en laissant aux salariés un minimum de visibilité sur la marche de leurs entreprises et leur évolution professionnelle (salaires, carrière).

Le libéralisme s’accommode mal de ce qui peut contrarier la politique de recherche « a priori » du profit, de la rentabilité et des économies. Bien évidemment, dans ce contexte, tout ce qui a trait au « coût du travail » comme on dit, constitue un enjeu de taille pour réduire les charges d’une entreprise. Si personne ne conteste le bon sens consistant à employer la force de travail avec pertinence et efficacité, le consensus s’arrête s’il s’agit d’attaquer l’emploi et de dégrader les conditions de travail et la qualité de vie des salariés, sans pour autant investir les économies réalisées dans l’amélioration du fonctionnement d’une entreprise, avec pour seul souci les dividendes des actionnaires (pour le privé) ou la réduction des dépenses de l’état (pour le public).

Afin de faciliter la mainmise totale des employeurs pour la recherche de profits maximaux, il a donc fallu alléger, voir totalement supprimer les « freins ou les contraintes » que le code du travail contenait. Donc les procédures de consultation ont été raccourcies, ne permettant plus un examen sérieux des dossiers. L’absence d’avis vaut avis négatif, ce qui n’empêche en rien l’employeur de faire comme bon lui semble. Cette offensive sans précédent enlevant aux instances le peu de prérogatives qu’elles détenaient est accompagnée d’une communication cynique et hypocrite, du genre « création d’un dialogue social constructif » ou « suppression des freins à l’initiative et à la compétitivité ». Il s’agit de faire croire aux salariés qu’en les privant des seuls outils qui leur permettaient d’avoir une visibilité sur la stratégie de leurs employeurs et de faire valoir leur point de vue (même seulement consultatif !) sur les changements qui pourraient affecter leur emploi, leurs conditions de travail et de vie ou leurs salaires, leur situation serait grandement améliorée.

La remise en cause des moyens donnés aux salariés en matière économique et sociale ne s’est pas arrêtée aux simples procédures de consultations, elle a carrément réduit de façon drastique le nombre de représentants en fusionnant des entités autrefois bien distinctes. Les élus au sein des Comités d’Etablissement (ou d’Entreprise), des Délégués du Personnel et des CHSCT avaient déjà fort à faire avec les dossiers dont ils avaient la charge au sein d’instances distinctes et nécessairement spécialisée, compte tenu du caractère particulier des divers dossiers à traiter.

Désormais tout est fusionné au sein du seul Comité Social et Economique, avec perte d’un très grand nombre de mandats et des crédits d’heures qui y étaient associés, permettant auparavant tant l’étude des questions à débattre qu’un travail sur le terrain auprès des personnels. Tout cela a officiellement pour but de « professionnaliser » les représentants des salariés ! Avec des moyens réduits, la totale confusion des genres et des procédures raccourcies, on se demande comment la propagande officielle peut émettre de telles sornettes !

A France Télévisions, l’offensive gouvernementale sur les institutions représentatives et leurs prérogatives se cumule avec la remise en cause de l’accord collectif, tant sur les salaires, que sur le paritarisme, l’évolution des métiers, les conditions de travail et la qualité de vie.

C’est la mode des commissions de suivi de tout poil qui ne suivent rien du tout, de l’opacité sur les salaires et de l’arbitraire total, de la brutalité managériale sans précédent (licenciements abusifs délibérés, mise à l’écart, comportements déplacés, etc…). Les nouveaux élus auront du pain sur la planche et auront du mal à faire face. Mais soyons rassurés, la Direction de l’Entreprise se gargarise des textes creux qu’elle est parvenue à faire signer à plusieurs organisations syndicales dont la bonne foi et l’honnêteté intellectuelle ne sont pas toujours à suspecter. Egalité femmes/hommes, qualité de vie au travail, prévention des risques psychosociaux, sont des thèmes sérieux qui nécessitent autre chose que des accords que la Direction se dispense bien d’appliquer, même en dépit de l’effet « placebo » de leur contenu.

L’ensemble du constat ne prête guère à se réjouir c’est vrai. Pour autant, faut-il baisser les bras ou se prêter à un « dialogue social » vide de sens, nous ne le pensons pas. Dans un prochain texte seront abordées toutes les pistes d’actions qui peuvent donner des résultats concrets, en évitant les petits arrangements entre amis qui ne sont pas l’affaire du collectif.

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