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Projet Info Démocratie : L’ambition oui mais avec quels moyens ?

Laurent Guimier, le nouveau patron de l’info à France Télévisions, a détaillé ce lundi aux organisations syndicales, son projet baptisé « DÉMOCRATIE ». Une démarche saluée par tous, surtout qu’elle s’accompagne de la promesse d’un point mensuel, au moins dans sa phase de lancement, et, si elle est tenue, ce sera une vraie nouveauté et une réelle avancée. 4 objectifs, 17 projets, pilotés par 4 équipes distinctes. En bref, « Démocratie » se veut rénovant et innovant pour conserver ou retrouver « un temps d’avance ». Ok mais avec quels moyens ? Suspense…

Rénovant et dépoussiérant sur plusieurs chantiers, comme organiser une vraie transversalité de l’info entre les différents supports, éditions et entités, par exemple dans tout ce qui touche à l’investigation. Mais aussi remettre des spécialités au sein des rédactions qui ont souvent été laminées par le fourre-tout des services « info géné », où tout le monde est censé savoir tout faire du matin pour le midi, sans connaissance des dossiers, ni du terrain, ni des acteurs… Redéfinir ou, plutôt définir le cahier des charges des éditions pour tenter autant que possible – mais est-ce possible ? – d’éviter les doublons et les concurrences internes ; et « unir toutes les forces de l’info ». Les priorités d’organisation en cas de Breaking News ne sont pas oubliées, tout comme « l’alliance entre l’info nationale et les deux réseaux – F3 et France ô.

Bref, il y en a pour tout le monde, y compris pour les matinales d’information de Télématin et France Info qui devront cohabiter en meilleure intelligence.

Innovant. C’est ce point qui fait le plus causer dans les médias : France TV veut se positionner comme la « norme NF de l’info » en développant et en inventant de nouvelles voies de fact-checking – on pense, bien sûr, aux prochaines échéances électorales- en partenariat avec des start-up. Une cellule spécialisée pourrait certifier ou « débunker » des images trafiquées qui risqueraient de circuler sur les réseaux sociaux et dans certains médias. Mais la volonté de la nouvelle Direction de l’Info est aussi d’améliorer les expertises, techniques ou humaines en développant des services internes (infographie, data, réalité augmentée etc) ou de nouveaux profils et de nouvelles compétences. L’autre aspect déjà en test, c’est le « sourcing » de nos reportages et informations qui serait partagé avec le public en fin de diffusion. Enfin, « ouvrir les rédactions » est aussi une volonté affichée par la Direction de l’Info, en recourant à des personnes qualifiées venues de l’extérieur ou des associations. On voit ici le lien vers le grand projet du journalisme de construction prôné par Delphine Ernotte devant le CSA, qui reste « à définir conjointement ». Une bonne approche.

Sur le fond, comme sur la forme, de cette présentation en amont, l’UNSA France TV accueille positivement le projet et ne veut en tout cas pas faire de procès d’intention. Cependant, nous avons pointé 3 domaines qui nous semblent absents des « 4 piliers » : les moyens pour les services, les carrières des salariés de l’info, le toilettage de l’éthique en interne.

C’est toujours sur les moyens que les Athéniens s’atteignent… ou pas, d’ailleurs. Or, Laurent Guimier a la franchise de reconnaître d’emblée que « nous évoluons dans un environnement financier contraint ». Pour lancer tous ces chantiers, le Directeur de l’Info parle « d’optimiser des ressources » qui, elles, ont déjà été optimisées pour France Info, au Siège et en Régions. On devrait donc faire du mieux, du nouveau, du révolutionnaire mais avec du pareil ou du moins ?

Les équipes de terrain – rédacteurs, JRI, OPS, monteurs – semblent être les grandes oubliées de ce plan. Quels moyens pour travailler ? Quelle latitude face à la caporalisation des rédactions et à la « Taylorisation » du travail ? Rien pour l’instant. Mais visiblement, on en a pris note côté direction.

Et puis, l’UNSA France TV a mis les pieds dans le plat : où en sont les carrières des journalistes de terrain ? Plusieurs d’entre-eux à la rédaction nationale souhaitent déménager pour vivre mieux ou pour carrément quitter l’entreprise. Rien de surprenant quand la majorité des quelques augmentations se bornent à 40€. Aujourd’hui, il semble acquis pour la Direction que la carrière des métiers du reportage soit une ligne plate et infinie, après avoir été essorée par la DRH lors de la négociation d’intégration.

Les compétences et le travail usant du terrain se paient ou… se perdent. La question est de savoir comment être l’information de référence quand on ne prend pas soin de ses équipes de terrain ?

Enfin, l’UNSA a aussi pointé une faille dans l’approche de l’éthique, et de la déontologie en général, dans ce projet. Nous sentons glisser nos métiers vers une organisation stratifiée, avec tout en bas, les journalistes de terrain surmontés par des couches de desk et, au-dessus, une caste de quelques un-e-s qui incarnent l’antenne et qui semblent être immunisé-e-s contre les conflits d’intérêts. Ils-elles cachetonnent dans différents médias, pour une boite de prod qui produit leur émission quand ce n’est pas leur propre société, qui animent des jeux et font de l’info, ou encore présentent une émission sur une plateforme sans savoir si c’est à son compte ou pour France TV.

Sans vouloir lancer une chasse aux sorcières, il est quand même grand temps – dans ce journalisme à plusieurs vitesses et plusieurs grosseurs de revenus – de toiletter, d’encadrer et de définir des règles communes à toutes et tous. Non ?

Laurent Guimier et son équipe se lancent dans la préparation d’un banquet de noces de l’info, avec en cuisine toute une brigade d’acteurs variés, dont les organisations syndicales. C’est alléchant. L’UNSA France TV est prête à s’y attabler, mais il serait de bon goût d’ajouter à ce menu étoilé quelques plats principaux traditionnels, qui figurent sur notre carte de cantine.