L’UNSA et l’intersyndicale appellent les travailleurs et l’ensemble des citoyens à se mobiliser ce 19 janvier contre le projet de réforme injuste et brutale du gouvernement. Grève, manifestation, pétition (à retrouver ici) : tous les moyens sont bons pour faire entendre notre voix ! Car au-delà de la bataille de chiffres, c’est notre modèle de société qui est remis en cause. La question de la retraite n’est ni technique, ni comptable, elle touche au plus profond de nos vies ou plutôt du reste de nos vies. Explications.
Le droit à la retraite est un subtil mélange entre âge légal et années de cotisation. Certains vont cotiser 43 ans pour partir à 64, quand d’autres, ceux qui ont commencé à travailler tôt, devront cotiser 44 ans, voire plus encore si la carrière a été hachée !
L’âge, un critère de catégorisation et de manipulation sociopolitique
Le critère de l’âge ne saurait constituer un élément d’évaluation et de catégorisation probant. Le fait est que, face au vieillissement comme à d’autres phénomènes, nous ne sommes pas égaux. Si la vieillesse relève d’un processus et non d’un état, le déroulé d’une existence a quant à lui pour substrat le patrimoine génétique et l’origine socio-économique, mais aussi les conditions de vie, ces dernières reposant sur une insertion professionnelle dont la nature et le niveau induisent des incidences diversifiées.
Un des arguments utilisés par le gouvernement est celui de l’allongement de l’espérance de vie. Un argument fallacieux, pour au moins 3 raisons :
– Cette donnée a été prise en compte par la réforme Touraine qui prévoit déjà un allongement de la durée de cotisation d’un trimestre tous les 3 ans à partir de 2020, ce trimestre correspondant au gain d’espérance de vie constaté par l’INSEE. Aujourd’hui, le gouvernement accélère la réforme et augmente les cotisations d’un trimestre par an : c’est 3 fois plus que le gain d’espérance de vie ! Et pour ajouter à l’injustice, cette réforme va créer des différences au sein d’une même génération, certains cotisant 43 ans quand d’autres en cotiseront 44.
– L’espérance de vie des ouvriers est inférieure de 6 ans à celle des cadres, cet écart « de durée de vie » pouvant aller jusqu’à 13 ans si l’on considère le niveau de vie moyen, autrement dit les revenus. En effet, selon l’INSEE, plus on est aisé, plus l’espérance de vie est élevée. Ainsi, parmi les 5 % les plus riches, l’espérance de vie à la naissance des hommes est de 84,4 ans, contre 71,7 ans parmi les 5 % les plus pauvres, soit 13 ans d’écart. Chez les femmes, cet écart est plus faible : 8 ans séparent les plus aisées des plus pauvres. Pourquoi cette donnée n’est-t-elle pas prise en compte afin d’assurer une égalité de traitement entre les différentes catégories socio-professionnelles ?
– Enfin, l’espérance de vie « dans l’absolu » est un indicateur incomplet car décorrélé du réel, il serait plus cohérent de considérer l’espérance de vie en bonne santé (ou sans incapacité). Selon l’INSEE, l’espérance de vie en bonne santé en France est en moyenne de 63.7 ans : l’écart est de presque dix ans avec la Suède (73.8 ans en moyenne) où le système, plus égalitaire puisque limitant les inégalités sociales et la pauvreté, est axé sur la prévention plutôt que le soin.
Il est donc factuel de conclure qu’en imposant un âge légal à 64 ans, cette réforme va aggraver les inégalités et empiéter sur le reste à vivre des travailleurs.
Le progrès technique pour tous… ou presque
Aborder la notion d’espérance de vie, c’est aborder celle du progrès technique et de sa promesse : vivre plus longtemps, en meilleure santé et dégager du temps de vie.
Le contrat est respecté sur les deux premiers critères mais il semblerait que le gouvernement ait d’autres projets en ce qui concerne le troisième.
De l’utilité sociale à l’utilité économique
Quel que soit l’horizon considéré, la même logique sociopolitique est à l’œuvre, révélant un pragmatisme froid quant à la considération et au traitement de l’humain : ce dernier est déjà largement assimilé à sa seule utilité sociale (on voit comment nos sociétés mettent à l’écart les plus fragiles et les plus âgés, nous parlons ici du 3ème âge). Désormais, c’est l’utilité économique qui servira de modèle de société. Chaque année de vie en bonne santé ainsi gagnée devra désormais être dévolue au travail rémunéré.
Nous allons passer d’un modèle de société basé sur l’utilité sociale – déjà critiquable – à une société fondée sur l’unique utilité économique des individus.
Derrière la bataille de chiffres, se cache une autre réalité non-exprimée : celle de l’idéologie. Autrement dit, quelle société voulons-nous pour demain ? Et là encore, contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, ce débat concerne l’ensemble de la population, jeunes et moins jeunes.
Les jeunes générations disent déjà leur inquiétude sur l’avenir de la planète, elles renoncent déjà à certains biens et services considérés comme trop consuméristes. Pourront-elles se désintéresser d’un sujet qui va modeler leur avenir, et accepter la promesse d’un monde qui ne considérerait plus l’être humain que comme vecteur de gains de productivité ? Rien n’est moins sûr.
Gouverner, c’est prévoir
Certes, il est raisonnable d’anticiper les déficits. Comme il est tout aussi raisonnable de se demander qui va « payer » cette réforme. Le temps de vie à la retraite n’est pas un temps de vie à ne rien faire, bien au contraire ! C’est ce que l’on appelle le travail informel, que l’Etat est tout à fait capable de quantifier. A titre d’exemple :
– Aidants / personnes âgées : le travail informel des 3,9 millions de proches aidants – il s’agit des aidants familiaux non professionnels – auprès des personnes âgées est valorisé entre 7 et 18 milliards d’euros. Ce chiffre est en réalité plus élevé, d’autres sources avançant un effectif d’aidants 2 à 3 fois supérieur.
– Garde d’enfants : les grands-parents retraités sont bien souvent le seul recours de leurs enfants lorsqu’il s’agit de faire de la garde d’enfant de manière ponctuelle. La DRESS estime que sur l’ensemble de la semaine, du lundi au dimanche, un enfant sur trois de moins de 6 ans est gardé au moins une fois par un membre de sa famille et un sur quatre par ses grands-parents. Au total, les grands-parents effectueraient environ 16,9 millions d’heures de garde par semaine auprès des enfants de moins de 6 ans. C’est autant que les assistantes maternelles rémunérées.
– Tissu associatif : une majorité d’associations, qui souvent pallient les défaillances de l’Etat, ne fonctionnent que grâce au travail des retraités. On estime que plus de la moitié des responsables d’associations sont des retraités, tout comme les bénévoles dits « réguliers », soit environ 2 millions de personnes, et qui constituent en quelque sorte l’ « épine dorsale » du réseau associatif français. On comprend dès lors que ce recul de l’âge légal va avoir des conséquences dramatiques pour des milliers de personnes qui ont besoin du soutien de ces associations, qu’il soit alimentaire, éducatif, sportif ou culturel…
Plus qu’une réforme comptable c’est bien le monde de demain qui se construit aujourd’hui. Ne nous résignons pas ! Osons demander un avenir meilleur !
Retrouvez ici la pétition pour dire Non au projet du gouvernement